Le Magasin des Suicides – Jean Teulé

 

Aujourd’hui, rendez-vous dans l’univers extravagant, nourri d’humour noir et délicieusement incongru du « Magasin des Suicides » de Jean Teulé. En route!

 

« Vous avez raté votre vie? Avec nous, vous réussirez votre mort!

Imaginez un magasin où l’on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l’humeur sombre jusqu’au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : la joie de vivre… »

 

Bienvenue donc dans l’univers incorrigiblement lugubre de la famille Tuvache, détentrice du fameux Magasin des Suicides, ce lieux curieux où le malheur poussé à l’envie d’en finir est devenu l’enjeux d’un business plutôt rémunérateur. Des classiques lames de rasoir aux audacieux kits de fabrication de poison maison (mais les plus courageux se laisseront peut-être tenter par la formule sepuku ou hara-kiri, comportant un sabre spécialement aiguisé pour l’occasion ainsi qu’un coquet kimono orné d’une croix rouge brodée indiquant l’emplacement que le malheureux doit viser? ), on en trouve pour tous les goûts.

Cette famille vit donc dans une macabre harmonie jusqu’au jour où arrive le troisième enfant, le petit Alan armé d’une redoutable joie de vivre et d’un optimisme inébranlable, déconcertant, véritable anomalie dans un univers où la mort est paradoxalement devenue un idéal de vie.

magasin des suicides couv
Jean Teulé, Le Magasin des Suicides.

Ne lisez pas « Le Magasin des Suicides » si vous n’êtes pas adepte de l’humour noir! Le roman en est truffé, et vous passeriez à côté de ce qui justement fait son charme.

Car en effet, ce qui caractérise ce roman, c’est bien cet humour décalé et incongru, grinçant, presque irrespectueux. Personnellement j’ai beaucoup ri!

Je ne sais pas trop comment qualifier ce texte… il se lit comme un conte grotesque, comme une farce, et l’auteur, grâce à cet univers où les valeurs sont inversées, où la mort est présente partout jusque dans les détails (vous reprendrez bien quelques « mistral perdants » ou quelques « roudoudous de Thanatos » ? ), propose une oeuvre placée sous le signe de l’absurde, qui nous prend toujours au dépourvu, et qui surprend continuellement notre logique malmenée.

J’ai beaucoup apprécié tomber sur ce genre de dialogues complètement … absurdes :

« – C’était qui ?

–  Connais pas, un désespéré de passage avec un revolver vide. J’ai trouvé ce qu’il lui fallait dans les boîtes de munitions devant la fenêtre pour qu’il se tire une balle dans la tête. Qu’est-ce que tu lis?

– Les statistiques de l’an dernier : un suicide toutes les quarante minutes, cent cinquante mille tentatives, douze mille morts. C’est énorme…

– Oui, c’est énorme, le nombre de gens qui se loupent. » 

Voilà un bon exemple de ce que je trouve génial dans ce roman et qui selon moi le caractérise : déjà, cette anormale et presque dérangeante indifférence avec laquelle les personnages parlent du suicide, relégué au rang d’ordinaire bien de consommation ; et ensuite cette manière de jouer avec notre logique et notre bon sens : avouez que cette dernière phrase (« Oui c’est énorme, le nombre de gens qui se loupent« ) vous a fait sourire sous l’effet de la surprise !

Attention, spoiler potentiel (si vous n’avez pas encore lu ce livre et que vous voulez garder le maximum de surprise, passez directement au paragraphe suivant). Evidemment, le roman ne se contente pas, tout au long de ses quelques 157 pages, de nous chanter l’apologie du suicide : Alan, cet élément perturbateur, ce corps étranger qui vient perturber une machine pourtant si bien huilée, devient progressivement indispensable. Symbolisant l’espoir, l’optimisme têtu et nécessaire dans un monde où la mort est bien plus tendance que l’idée effroyable d’avoir encore toute une vie à vivre, c’est lui qui, par sa naïve et contagieuse bonne humeur, finit par apporter un équilibre à ces existences déréglées. Finalement, ce roman s’offre comme une ode grinçante à l’optimisme, c’est la victoire inévitable du bonheur de vivre contre le pessimisme buté et la noirceur qu’on s’oblige parfois à voir dans chaque chose.

 

« Le Magasin des Suicides » se lit donc comme une oeuvre malicieuse, toute en finesse, en humour noir (très très noir…) et en allusions bien placées (sauriez-vous me dire combien de références à des « suicidés célèbres » se cachent dans ce texte ?). De son style simple, on voit émerger avec délice quelques bravoures langagières qui relèvent le tout.

C’est donc pour moi une lecture facile et rapide, et surtout divertissante, à condition d’en apprécier le second degré. Je recommande !

 

 

Un commentaire sur “Le Magasin des Suicides – Jean Teulé

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