Aujourd’hui mon cher lecteur, je viens te parler d’Amour. Enfin, plus précisément, de mon amour pour un écrivain-fou, une espèce d’illusionniste-romancier, Alain-Robbe-Grillet.
C’est compliqué pour moi de trouver par où commencer à propos de son oeuvre tellement il y a à dire. Ce que je peux te dire en tout cas c’est que ses textes ne ressemblent à rien de ce que j’ai pu lire jusque-là. Lire Robbe-Grillet, c’est au delà du simple divertissement, c’est une véritable expérience. Et c’est prenant, tellement prenant. Fais l’effort d’accorder au texte l’attention qu’il mérite mais laisse l’écrivain accomplir ses tours de passe-passe inexplicables, et tu ne pourras pas rester indifférent.
C’est donc un de ses romans que j’ai choisi de te présenter aujourd’hui, et pas n’importe lequel : Djinn, un Trou Rouge entre les Pavés Disjoints. Si ce n’est pas le plus connu, c’est à mon sens le plus étrange et le plus envoûtant.
Lecteur, si tu t’engages dans l’exploration de l’oeuvre de Robbe-Grillet, attend-toi à avoir des surprises. Attend-toi à t’égarer dans les méandres du sens, à douter de toutes les certitudes que tu croyais avoir bâties au fil de ta lecture, aussi consciencieuse soit-elle, attend-toi à te poser mille questions dans ta recherche désespérée de logique, et à suspecter finalement jusqu’au texte lui-même !
« Ce livre réussit à être , en même temps, une merveilleuse « histoire à dormir debout », aussi étrange qu’un conte d’Hoffmann, aussi souriante qu’une rêverie de Lewis Caroll, aussi rebondissante qu’une aventure de James Bond, et il nous apporte une excellente synthèse de l’univers romanesque de Robbe-Grillet.
Simon Lecoeur, à la recherche d’un emploi, tombe dans les rets d’une mystérieuse Américaine, Jean, qui le subjugue au point qu’il en devient aussitôt amoureux. Sans rien lui expliquer, elle le charge d’une mission qu’un obstacle, apparemment imprévu, la chute d’un enfant sur le pavé disjoint d’une ruelle obscure, l’empêche d’accomplir. Cet accident, parfaitement programmé au contraire, remet Simon entre les mains de deux enfants, Marie et Jean, qui le contraignent à jouer l’aveugle pour découvrir quelle organisation souterraine il sert : c’est une société de lutte contre le machinisme où l’on n’use, par ironie, que de machines et dont tous les agents, découvre-t’on à la fin du récit, après plusieurs variantes, ne sont que des robots. »
C’est donc sous l’apparence d’une intrigue d’espionnage que se livre Djinn. Cependant, le roman semble rapidement dévier de son programme pour laisser la place au génie de Robbe-Grillet, glissant progressivement dans le farfelu, l’incongru, l’inextricable et l’irrémédiablement paradoxal.
Djinn, comme les autres œuvres d’Alain Robbe-Grillet, est avant toute chose une oeuvre malicieuse qui joue avec les attentes de son lecteur. Organisée en boucles qui se répètent selon un désordre proche de l’aléatoire, elle se nourrit de variations, d’écarts plus ou moins subtils, de discontinuités et autres bizarreries qui nous font pénétrer plus profondément dans le cœur d’une énigme dont on peine à définir les enjeux tant les questions qui nous assaillent sont nombreuses.
Le roman se moque (presque) ouvertement de notre besoin d’expliquer, d’ordonner, de comprendre, et tout en feignant de présenter le déroulé des événements, il s’amuse à déconstruire toutes nos certitudes. Ce qui fait également le charme de ce texte, c’est la présence de l’ironie malicieuse de Robbe-Grillet qui transparaît à travers les dialogues de ses personnages : si ces dialogues s’intègrent bien dans leur situation d’énonciation, c’est dans le double sens méta-littéraire qu’elles prennent cette saveur particulière d’ironie.
Le roman nous embarque avec lui, la lecture, au départ simplement curieuse, devient plus empressée, plus fébrile, à l’affût : c’est que le roman nous transforme en une sorte de Simon Lecoeur. Tout comme lui, nous persévérons dans la lecture escarpée des événements, et nous creusons, nous creusons toujours d’avantage, guidés par l’espoir aveugle qu’un sens finira par jaillir de nos efforts, même lorsque ce dernier semble avoir complètement disparu.
En définitive, et parce qu’il faut bien conclure, Djinn est un texte court mais avec un fort aspect ludique, une lecture prenante et obsédante, qui ne laissera de répis à votre sens logique. Je me souviens très bien de ce moment précis où j’ai terminé pour la première fois la lecture de Djinn : j’étais seule dans ma chambre, il était plus de 22h et j’avais, absorbée par le roman, oublié de me faire à manger. J’avais ce petit livre ouvert qui reposait entre mes mains, satisfait d’avoir accompli son tour de magie, et moi je n’avais qu’une envie : recommencer, reprendre depuis le début ou au moins un peu en arrière pour comprendre, comprendre ce qui avait bien pu se passer, ce que j’avais du manquer et qui me donnait cette impression bizarre que plus rien, nulle part, n’était certain, n’était plus ni connu ni inconnu.
Et étant donné qu’il s’agit à la fois de mon auteur et de mon roman préféré, c’est évidemment une lecture, ou plutôt une expérience, que je recommande.
J’espère que cet article vous a plu ! N’hésitez pas à me donner votre avis en commentaire, c’est toujours agréable d’échanger avec vous.
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Marie.
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